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Complaintes du Progrès

La Complainte du Progrès:

Autrefois pour faire sa cour

On parlait d'amour

Pour mieux prouver son ardeur

On offrait son cœur

Maintenant c'est plus pareil

Ça change, ça change

Pour séduire le cher ange

On lui glisse à l'oreille :

- Ah, Gudule!

Viens m'embrasser

Et je te donnerai…

Un frigidaire

Un joli scooter

Un atomixer

Et du Dunlopillo

Une cuisinière

Avec un four en verre

Des tas de couverts

Et des pelles à gâteaux

Une tourniquette

Pour faire la vinaigrette

Un bel aérateur

Pour bouffer les odeurs

Des draps qui chauffent

Un pistolet à gaufres

Un avion pour deux

Et nous serons heureux

Autrefois, s'il arrivait

Que l'on se querelle

L'air lugubre on s'en allait

En laissant la vaisselle

Maintenant, que voulez-vous

La vie est si chère

On dit : Rentre chez ta mère !

Et on se garde tout

- Ah, Gudule!

Excuse-toi

Ou je reprends tout ça…

Mon frigidaire

Mon armoire à cuillères

Mon évier en fer

Et mon poêle à mazout

Mon cire-godasses

Mon repasse-limaces

Mon tabouret à glace

Et mon chasse-filous

La tourniquette

À faire la vinaigrette

Le ratatine-ordures

Et le coupe-friture

Et si la belle

Se montre encore rebelle

On la fiche dehors

Pour confier son sort

Au frigidaire

À l'efface-poussière

À la cuisinière

Au lit qu'est toujours fait

Au chauffe-savates

Au canon à patates

À l'éventre-tomates

À l'écorche-poulet

Mais très très vite

On reçoit la visite

D'une tendre petite

Qui vous offre son cœur

Alors on cède

Car il faut qu'on s'entraide

Et l'on vit comme ça

Jusqu'à la prochaine fois

Et l'on vit comme ça

Jusqu'à la prochaine fois

Et l'on vit comme ça

Jusqu'à la prochaine fois

Boris VIAN (1956)

Tag(s) : #Poésie, #Boris Vian, #20ème siècle, #Progrès
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