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Etoile n°1: Chap.5. "Vacances finies"

« Le 25 juin, nous rentrions dans l'ancienne capitale .

Les rues étaient désertées, nous passions devant plusieurs bâtiments publics qui arboraient maintenant les couleurs nazies. J'étais... Enfin, nous… »

Marie inspire un grand coup. Les mots lui manquent, pas le courage, ni l'envie, juste les mots qui pourtant semblent si simple à formuler.

« Nous avions honte ! » Lâche-t-elle, finalement. Elle marque une nouvelle pause et reprit :

« Tellement honte... Je dis « nous » mais ce n'était pas le cas de mon père qui n'avait aucune honte, c'était une très grande colère qui grondait en lui. Une colère contre « les boches » et les jeunes soldats français indisciplinés ;

«Nous en 16, on laissait passer personne ! Jamais on les aurait laissés passer ! Nous avons perdu dans la honte, non dans le sang et la boue de 14-18 » il ruminait ces phrases sans cesse.

Tout était intact, pas d'impacts de balle, ni de trace de combat. Je savais que personne ne s'était battu à Paris, mais je croyais qu'il y aurait un changement radical, que l'environnement se serait autant transformé que nous. On roulait entassés les uns sur les autres. Nous étions si pitoyables !

A l'angle d'une rue, un barrage allemand arrêta les propos de mon père, et durant les mètres qui nous séparaient d'eux, le silence s'installa, insupportable et glacial. Nous attendions notre châtiment.

Les allemands stoppèrent la voiture, et d'un français maladroit demandèrent les papiers de mon père. Le silence se fit de plus en plus pesant.

Ma jeune sœur déglutit et le brisa. Rosaline tourna la tête vivement vers elle, et lui jeta le regard le plus inquisiteur et le plus lourd de reproches que l'on peut imaginer. Jeanne se décomposait sur place. Je lui prit la main, et lui envoya le plus doux sourire que je pouvais faire en conséquence. Elle était morte de peur. Ma tante faisait tout pour ne rien arranger. Puis l'un des soldats rendit les papiers à mon père, avec un large sourire arrogant et vociféra des mots horriblement accrocheurs aux soldats de devant.

Le moteur brisa le silence de mort qui s'était installé, nous arrivâmes à la maison. Ma mère se rua vers la porte. Je la vis disparaître derrière le battant de la porte, et elle cria les noms de mes trois frères. Ses pas dans l’escalier en bois résonnèrent jusqu’à moi.

Les clameurs cessèrent. Les pas, aussi. Personne. J'aidai mon père et Suzanne à décharger nos valises tandis que mon oncle s'installa dans un fauteuil du salon avec son journal datant de deux semaines.

Notre demeure principal, était située dans le centre du seizième arrondissement. Non loin des jardins du Trocadero. C'était un vieil hôtel parisien que mon père avait eu en héritage, et son père et grand-père avant lui. Mon arrière grand-père avait donc commencé à installer notre famille dans cette immense demeure où mes frères et sœurs et moi sentions mieux que nulle par ailleurs.

J'ai eu une enfance fortunée, et faisais partie des classes sociales les plus élevées. Aujourd'hui ça me paraît insensé, mais à l'époque... Comment dire ? Normal. »

Indécise, Marie ajouta en fronçant les sourcils :

« Enfin je crois... » Prenant une grande inspiration, elle poursuit :

« Nous nous réinstallions dans notre maison anormalement silencieuse. Mais rien ne changeait, les humeurs de chacun continuait malgré notre société qui s'écroulait. Ma tante s'installa dans une chambre, la plus confortable, de l'étage, en clamant qu'elle « était éreintée » par cet épuisant voyage. Je déposai les valises devant les différentes chambres quand je vis ma tant s'arrêter dans les escaliers, toiser quelque chose, puis continuer sa route en soufflant. Ne sachant rien, je continuai mon travail puis arrivant au fond du couloir, là l'escalier débutait, et où ma tante s'était arrêtée, je découvris ma mère.

Assise dans les escaliers, elle regardait dans le vide en sanglotant. Son bras droit serrait la rambarde. La voir ainsi, me brisa le cœur. Et me ramena à la dure réalité, ces quelques jours passés à la mer, n'avaient rien arrangés, ni ramenés mes frères.

Comment allait Louis? Il lui arrivait de tomber malade quand il ne faisait pas attention. Et où était Henri ? Mon grand-frère était si assidu dans ses lettres. Pourquoi n'en avions nous pas de nouvelles ? Est ce que Jean manquait de quelque chose, lui qui est si exigeant ? Les questions se multipliaient dans ma tête, inconditionnellement et inexorablement. Je secouais ma tête pour les chasser mais en vain. Ce mouvement m'avait obligé à détourner mon regard de ma mère, je regardais à présent, le plancher sombre. Je ne sais combien je suis restée ainsi à ne penser à rien.

Faisant le vide, je regardai mon attitude différemment: mon inquiétude avait été si inexistante. Elle venait pourtant d'apparaître, et grandissait en moi, aussi éclatante qu'une gifle, et tellement douloureux que s'en était presque insupportable.Ma gorge se fit sèche, mes yeux se remplirent d'eau, et une douleur apparut dans mon ventre.Je voulais explosé en sanglots avec elle.Mais pourtant, usant d'une force dont je n'avais aucune connaissance, et que je n'ai plus.

Je m’assis à côté d'elle, en lui prenant la main, et posant ma tête sur son épaule tremblante, je lui affirmai avec le plus de convictions possibles :

« Ils reviendront.Ils reviendront … Ne t'en fais pas... Ils reviendront.»

Nous restèrent un bref instant ainsi. Puis d'un mouvement vif, elle essuya ses yeux, souffla et me lança un sourire que je savais faux. J'enviais sa force.

Elle se leva, frotta sa jupe, et ses bras, puis parcourut le couloir, en s'arrêtant à chaque fenêtre pour ouvrir les volets. Arrivée au bout, elle me lança:

« Je vais voir si il y a de quoi manger, tu peux venir m'aider si tu veux.

-D'accord. Je finis. »

Puis elle disparut.

J'ai eu une enfance très plus fortunée, et faisais partie des classes sociales les plus élevées. Ça ne nous a pas empêchés d'être malheureux et inquiets...Aujourd'hui ça me paraît tellement insensé, mais à l'époque... » Marie regarde l'heure. Six heure moins le quart. Mais Adèle n'a pas l'air de s'en préoccupé alors elle poursuit :

« Nous n'avions pas prévenu les domestiques de notre retour. Et mon oncle et ma tante souhaitaient rester avec nous. Ils se sentaient « plus en sécurité » que dans leur maison. Cette situation ne déplaisait pas à ma cousine. Elle ne supportais plus ses parents, et ne souhaitait qu'une chose : être seule. Ce qu'elle fit en s'enfermant dans la chambre que je finissais de lui préparer.

Alors, je m'exécutai et effectuai ce que j'avais promit à ma mère. Le reste de l'après-midi passa. Tout paraissait normal. Je servis le souper dans la petite salle à manger, comme je m'en rappelais. Je n'avais jamais réellement fait attention. Ça paraissait naturel que je ne le fasse jamais.

La nuit tomba lentement. Nous dînâmes dans un silence religieux sans ma cousine qui avait un « mal de crâne ».

Nous nous couchâmes. Alors, je me retrouvai, seule, dans ma chambre, qui était immense, on pouvait y pénétrer par une porte à gauche de l'imposant lit rouge à baldaquins qui prenait bien la moitié de la pièce. En face de ce dernier, deux immenses fenêtres donnaient sur la rue Louis DAVID, par laquelle j'aimais regarder, tard le soir, différentes personnes regagner leurs domiciles. Ce jour là, fut le premier où j'ouvris et refermai les volets de ma chambre dans la même journée. Mon père avait fait récemment installé un petit bureau en bois de noyer, et avait déclaré :

« Tu as dix neuf ans maintenant, il est grand temps que tu travailles réellement!»

J'avais été très touchée, mais il se doutait bien que je ne l'utiliserai que pour écrire quelques lettres administratives ou personnelles. Peut-être en ai je écrit deux ou trois par mois. J'y ai plus entreposées des papiers futiles que des travaux d'une grande importance.

J'éteignis le petit lustre qui ornait la pièce au dessus du tapis central et allumai ma lampe de chevet. Les grands volets fermés, et les rideaux tirés, je soufflai. J'avais l'impression que tout me tournait le dos.

Je me glissai dans les draps froids. N'y tenant plus, je sanglotais, toute la peur, la tristesse, l'inquiétude et la lourdeur des ces derniers jours se transformaient en larmes et ressortaient. Petit à petit, le nœud dans ma gorge se dénoua, et je respirai enfin. »

Marie se lève et part dans sa chambre. Laissant Adèle, incrédule, non rassasiée de toutes ces questions.

Tag(s) : #Marie, #Etoiles n°1, #20ème siècle
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